Bienvenue en incertitude ! by Philippe Silberzahn

Bienvenue en incertitude ! by Philippe Silberzahn

Auteur:Philippe Silberzahn [Silberzahn, Philippe]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Philosophie, sociologie & ethnologie Sociologie
ISBN: 9782354564100
Éditeur: Diateino
Publié: 2021-10-28T08:40:14+00:00


Le besoin de prévision est une construction sociale

Nous avons montré combien la capacité d’une prévision parfaite est consubstantielle au modèle de l’acteur rationnel qui sous-tend nos outils de décision. Sans elle, celui-ci s’effondre.

Mais le besoin de prévoir ne résulte pas seulement du besoin de rester dans ce modèle. Il a des racines beaucoup plus profondes. L’historien Mircea Eliade rappelle ainsi que « l’humanité archaïque se défendait autant qu’elle le pouvait contre tout ce que l’histoire comportait de neuf et d’irréversible5 », car la nouveauté est facteur d’incertitude et l’incertitude est anxiogène. La peur ancestrale de l’avenir et de ses hasards n’a pas disparu avec la civilisation agricole et l’avènement de la société industrielle. Encore aujourd’hui, l’indétermination de l’avenir est presque universellement vécue comme un problème majeur aussi bien chez les philosophes que chez les politiques ou dans les entreprises. En effet, le sociologue François Dupuy l’observe : « Quelle que soit l’incertitude du monde, on demande toujours à un dirigeant d’avoir une “stratégie claire”, non pas parce qu’elle est juste, mais parce qu’elle sécurise tous ceux que l’imprévisibilité de l’avenir angoisse6. » Le chef d’entreprise est ainsi censé être un « réducteur » d’incertitude aux yeux des parties prenantes de l’organisation, principalement investisseurs et employés.

Nos paradigmes, à l’image de la Constitution française qui comprend maintenant une clause imposant le principe de précaution, sont orientés vers la protection de l’existant face aux risques du futur. La volonté de contrôle de la nature et de réduction de la part de hasard traverse toute la pensée occidentale depuis deux millénaires au moins, et elle est traduite dans la phrase de Descartes qui développe sa fameuse méthode afin, explique-t-il, de « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature7 ». Reflet de cette croyance au pouvoir de la connaissance pour se protéger des aléas de la nature, Saint-Simon prônera un mode de gouvernement contrôlé par un conseil formé de savants, d’artistes, d’artisans et de chefs d’entreprise et dominé par le secteur primaire qu’il convient de planifier pour créer des richesses et améliorer le niveau de vie.

À l’époque contemporaine, la révolution scientifique et industrielle introduit encore plus d’aléas et de bouleversements, tandis que le système capitaliste, par sa dynamique de destruction créatrice, est également générateur d’incertitude. Nous vivons dans une rupture permanente. L’ubérisation, terme forgé à la suite de l’émergence de la société Uber qui s’attaque au monopole des taxis, concerne toutes les industries. Beaucoup d’observateurs, plus sensibles à ce qui se perd qu’à ce qui se crée, à ce qu’on voit qu’à ce qu’on ne voit pas8, s’inquiètent de cette évolution déstabilisatrice, et se tournent vers l’État, qui leur apparaît comme le seul garant de la protection contre les aléas de l’avenir. Alors que le marché est vu comme perturbateur et court-termiste, l’État seul serait capable d’anticiper les grandes questions et d’avoir une action sur le long terme. C’est pour cette raison que s’est développée en France une technocratie autour des grands corps et de l’ENA.

Typique de ce mouvement, le groupe X-Crise est



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